Restitution : il faut poursuivre le travail sur la provenance des objets, estime le nouveau directeur du Quai-Branly

9 Juillet 2020, 11:05

 

Après la tentative de « récupération » d’un poteau funéraire dans le musée parisien, Emmanuel Kasarherou défend une approche basée sur la recherche.

Est-ce l’effet de la mobilisation mondiale autour de George Floyd et du mouvement antiraciste Black Lives Matter ? De la relance du débat sur le passé colonial qui partout fait tomber les statues des esclavagistes ? Ou simplement du ras-le-bol face au statu quo concernant les questions de restitution par la France des biens pillés en Afrique ? Le 12 juin, cinq hommes ont été appréhendés au Musée du quai Branly–Jacques-Chirac alors qu’ils tentaient d’emporter un poteau funéraire Bari datant du XIXe siècle, provenant du Tchad, après l’avoir détaché de son socle. « Ces biens nous ont été volés sous la colonisation… Ça nous a été pris sans notre consentement, donc je rentre avec à la maison ! », clamait le meneur du groupe, un ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC), dans une vidéo de trente-trois minutes postée en ligne. 

« Ces questions se sont exacerbées », admet, mardi 16 juin, Emmanuel Kasarherou, le nouveau président du Musée du quai Branly, qui a pris ses fonctions fin mai. Le sujet est d’autant plus inflammable que le passage à l’acte se fait attendre depuis la publication, en novembre 2018, du rapport des universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, prônant la restitution à l’Afrique d’une partie de son patrimoine. Le retour « rapide » au Bénin, promis par Paris, de 26 totems et sceptres royaux pillés lors du sac des Palais des rois d’Abomey par les troupes coloniales françaises en 1892 a été différé. A la demande, il est vrai, du directeur de l’Agence nationale de promotion des patrimoines et du tourisme (ANPT) béninoise en juillet 2019, le temps pour le Bénin de finir construire un musée pour les accueillir. Mais en France, les verrous politiques et légaux n’ont pas encore sauté. Même quand ces 26 artefacts auront retrouvé leur patrie d’origine, le transfert de propriété à proprement parler, lui, est pour l’heure dans les limbes.

La nomination d’Emmanuel Kasarhesou, né d’une mère française et d’un père kanak, avait suscité beaucoup d’espoirs chez les partisans de la restitution. Attentes douchées le 5 juin lorsque, interrogé par le New York Times, le nouveau capitaine du Quai-Branly, a qualifié le rapport Sarr-Savoy de « très militant », précisant qu’il ne saurait « en faire sa ligne directrice ». « Peu original, c’était la rhétorique de Stéphane Martin, son prédécesseur, a aussitôt répliqué le Sénégalais Felwine Sarr sur Twitter. La liberté est possible. Il faut la tenter. »

« Déficit de données »

Aujourd’hui, Emmanuel Kasarherou tente de nuancer ses propos. « Le rapport a réveillé dans les musées un examen de conscience, des questions sur ce que disent les objets, ce qu’on en dit et ce qu’on leur fait dire », confie ce spécialiste de l’art kanak, tout en affirmant que « ce document ne peut servir de vade-mecum, car son approche est trop globale, il considère les collections comme un lot, comme une collection du même, sans tenir compte de la singularité de chaque objet ».

A l’inverse de son prédécesseur, qui défendait prioritairement la circulation des objets par des dépôts, des prêts et des expositions sur le continent, Emmanuel Kasarherou n’exclut pas les transferts de propriété, « quand on peut démontrer que les objets ont été acquis en situation de violence ou de contrainte ». Mais, pour cela, la recherche prime. Son mot d’ordre ? Poursuivre le travail entrepris par les équipes scientifiques sur les provenances, car « les objets flottent souvent dans une géographie et une historicité imprécises ». Et d’ajouter : « On avait un déficit de données sur l’histoire et la biographie des milliers de donateurs du musée, beaucoup d’objets sont arrivés jusqu’à nous après être passés par une deuxième, troisième, voire quatrième main, dont on ne sait parfois rien. »

Quid des demandes de restitution formulées par le Sénégal et la Côte d’Ivoire en 2018, après la publication du rapport Sarr-Savoy, et restées depuis lettre morte ? « A ma connaissance, ces pays ne sont pas revenus avec des demandes précises, ce sont des démarches qui se font d’Etat à Etat s’agissant des collections nationales », avance Emmanuel Kasarherou, qui souhaite se rendre avant la fin de l’année en Afrique pour y rencontrer ses homologues, notamment à Dakar, au Musée des civilisations noires. « Il faut faire le tour de nos partenaires naturels, discuter de ces questions de musée à musée, poursuit-il. Après, ce sera à nos Etats de décider. Il y a un ensemble de possibilités pour un partage le plus large possible de ce patrimoine. »

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